Gave d’Oloron. Autopsie d’une idylle naissante.

 

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En espérant que mes rivières de coeur que sont et resteront les Nives du Pays Basque ne m’en tiennent pas rigueur, j’ai pris l’habitude, depuis quelques années, de passer 2 ou 3 week-end sur les bords du gave d’Oloron lorsque leurs eaux de neige blanchâtres et peu amènes ont fait place à de sublimes flots aux couleurs d’émeraudes,  et je remarque que mon attrait pour cette rivière est grandissant, voire envoûtant.

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Cette attirance m’est sans doute dictée par de lointaines souches béarnaises, du côté d’Arudy. La beauté des paysages y est à couper le souffle avec, en point d’orgue, cette rivière majestueuse qui, telle une femme dans toute sa splendeur, sait se montrer langoureuse en traversant lascivement de majestueux radiers ou déroutante par son caractère impétueux lorsqu’elle se fraie un passage avec force au milieu de parois rocheuses abruptes et effrayantes.

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Ici, Dame nature force le respect. Les nuisances de notre civilisation brutale n’ont eu qu’une emprise modérée sur les petites villes que sont Sauveterre de Béarn, Navarrenx, et Oloron Sainte Marie qui sont les garantes de l’identité de cette région, sans oublier une ribambelle de petits villages qui portent haut en couleur ce défi perpétuel lancé à notre modernisation destructrice. Araujuzon, Bugnein, Dognen, Préchacq, Aren, Geüs d’Oloron, Moumour… sont autant de petites bourgades qui échappent aux touristes pressés mais qui dévoilent toute leur authenticité dés lors que ces derniers prennent la peine d’y poser leurs valises pour quelques jours.

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Saucède

 

Et que dire des autochtones ? Que dire de cet hôtelier chez qui je suis descendu pour la première fois il y a bientôt 5 ans et qui, au début, me disait bonjour et au revoir du bout des lèvres ? L’année suivante, quand il s’est rendu compte que je n’étais pas un de ces massacreurs de poissons qui étaient légion par le passé, il me confia la plupart de ses meilleurs coups à truites, comme une offrande. Chaque pêcheur reconnaitra ce geste à sa juste valeur. A l’évidence, les Béarnais ne montrent aucune rancune vis à vis de toutes les tortures écologiques qui ont été infligées à leur joyau.

 

Rond-point de Navarrenx

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Comment parler du gave d’Oloron sans parler du poisson roi car l’un et l’autre resteront associés pour l’éternité. Aucun pêcheur en rivière averti ne peut ignorer que Navarrenx s’est auto-proclamée, il y a un peu plus d’un demi siècle, et à juste titre, « capitale mondiale du saumon ».

La  » saumonite aigüe  » était à l’époque présente dans les gènes de tous, et certains jours, les berges de la rivière devenaient presque inaccessibles en raison de la foule compacte de badauds qui venaient assister en famille au grand spectacle délivré par les prises innombrables du fameux poisson d’argent. La réputation de ces lieux magiques avait alors rapidement fait le tour du monde et les pêcheurs de tous horizons convergeaient vers le graal halieutique qui leur était promis.

Tout ceci est bien terminé et il ne subsiste de cette époque que quelques noms de pools prestigieux, Masseys, Lacrampe, couloir d’Orin, digue de Poey, ainsi que d’anciennes cabanes de pêcheurs rongeant leur solitude sur des berges désaffectées, autant de vestiges délabrés qui témoignent encore de toute une effervescence disparue.

Et trop rarement, il arrive que quelques chanceux ou les plus opiniâtres entendent soudain, après d’innombrables journées de disette halieutique, le hurlement strident de leur moulinet interrompre la quiétude de la rivière et voient avec une réelle jouissance leur canne pliée à se rompre. Quelques secondes plus tard, pour que la fête soit totale, une majestueuse flèche d’argent vient transpercer la surface de l’eau à quelques dizaines de mètres de l’heureux élu.

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Le béarnais est têtu, mais le saumon …. Malgré l’estuaire littéralement fermé par d’immondes filets dérivants, malgré le braconnage éhonté, malgré la pollution dévastatrice, il subsiste encore de nos jours une migration inespérée de quelques centaines de saumons. Leur atavisme est tel qu’ils ont réussi, après plusieurs milliers de kilomètres parcourus dans l’océan, à franchir avec succès les pièges diaboliques qui leur ont été sournoisement tendus, avec  comme seul dessein d’assurer leur descendance à l’endroit même où ils ont été conçus, sur une paisible frayère du gave d’Aspe ou d’Ossau.

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Je n’ai pas connu cette fantastique épopée du saumon et je dois tout de même avouer que mon amertume n’a d’égal que cette aversion pour la cupidité des hommes qui a été à l’origine de ce désastre écologique, toutes proportions gardées.

Fort heureusement, subsiste une riche littérature sur la question qui permet, d’une certaine façon, de partager aujourd’hui les émotions d’autrefois.

Par ailleurs, mon attirance irrésistible pour la pêche se prévaut d’une infinité de composantes, dont les poissons sont heureusement une parmi bien d’autres.

 

Point de saumon, je suis donc pêcheur de truite.

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Il s’agit donc bien de dame truite que je viens « chasser » sur le gave d’Oloron. Je dis bien « chasser » car ici, tout est affaire de traque sur les bordures, puis de qualité d’approche. C’est cette particularité qui est à l’origine de l’addiction qu’engendre un tel mode de pêche.

Le pêcheur patient, discret et qui a une bonne vue apercevra dans une journée au moins 2 ou 3 poissons de 3 livres et plus marsouiner à 50 cm de la rive. En raison du courant presque nul en bordure, les gobages se résument à des micro-bulles que seul un initié percevra. Quelquefois, ils ne sont décelés qu’à l’oreille par un imperceptible « blop ».

Lorsque le poisson est vu, plus rien ne va exister pendant le quart d’heure minimal qui va être consacré à l’approche idoine et à l’analyse de la situation pour choisir le type de lancer adéquat. Bien souvent, les coups sont difficiles en raison des branches et des inversions multiples du courant. La tension est maximale lorsque tout est prêt pour le premier lancer. A quelques mètres, cette masse sombre et « musclée » évolue sous la surface en faisant montre d’une élégance et d’une agilité inouïes.

Il m’est souvent arrivé de retarder de quelques minutes le déroulement des premières arabesques de soie afin de prolonger ce spectacle étonnant. Le sacrifice de quelques dizaines d’insectes est magnifié par la perfection des mouvements de l’acteur principal pour lequel il est vital de dépenser moins d’énergie en se déplaçant que celle qui va être générée par l’ingurgitation d’un être infinitésimal.

Les éphémères qui dérivent jusqu’à leur prédateur semblent consentants; peut-être savent-ils qu’ils n’ont tout au plus que 2 jours de vie devant eux.  Je m’impose souvent cet intermède car il me permet également de faire redescendre un peu l’adrénaline et m’autorise à faire corps avec la rivière, le poisson et désirer plus que jamais le baiser qui marquera la fin de ce moment tant convoité.

La réussite du 1er lancer, déterminante, dépendra de beaucoup de facteurs. S’il est réussi, ce sera l’explosion; la rencontre brutale entre le pêcheur et la belle fario qui, une fois ferrée, se montrera au combien digne du coup de ligne en faisant preuve d’une âpreté extraordinaire dans le combat et en gagnant immédiatement le milieu de la rivière, souvent habitée par un très fort courant. Le reste n’est qu’un rêve dans lequel un être vivant,  suspendu au bout d’un fil ténu, se bat pour sa survie car il ne sait pas encore que, s’il est vaincu, liberté lui sera rendue avec tous les honneurs.

Bien plus souvent, le premier coup de ligne se soldera par un échec et quand la belle s’enfuit, la déception est immense mais le gave, par sa beauté envoutante et ses flots qui coulent inexorablement vont très rapidement atténuer ces déconvenues …éphémères.

Seule va survivre l’image de ce poisson et développer cette addiction qui me fera revenir au même endroit, dès que possible, même si ça ne sera sans doute qu’un bon prétexte pour revoir cet environnement qui m’attend et qui m’apaise. »  Je suis hanté par les eaux  » : elle est si belle cette phrase de Norman MacLeen.

Une magnifique bordure à Aren.

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Pour vous remercier d’avoir eu l’opiniâtreté de terminer mon modeste récit, je vous propose de partager un des moments les plus intimes de ma belle vie de pêcheur : la liberté rendue à une magnifique fario du gave d’Oloron que je remercie  pour tout le plaisir qu’elle m’a offert. Elle est restée longtemps dans mes mains ouvertes et J’ai plaisir à m’imaginer qu’elle a retardé son départ et que les frémissements langoureux de son corps fuselé m’étaient destinés.

https://www.youtube.com/watch?v=CHeoVFP11Iw

Ce poisson de 54 cm, je l’ai courtisé pendant presque 2 mois et je ne sais toujours pas si c’est un coup de ligne réussi ou quelque chose de beaucoup plus irrationnel qui est à l’origine de cette rencontre entre un animal sauvage et un autre animal, dit « civilisé ». Nul ne sait encore avec précision quelle peut être la vision de la truite ; qui pourrait donc avoir la prétention d’en comprendre les états d’âme ?

Je suis par contre certain que chacun de ces moments intenses, magnifiés par la beauté des lieux où ils ont été vécus , laisseront immanquablement dans ma mémoire autant de petite traces indélébiles de bonheur, comme le premier vairon de mes six ans.

 

Poisson posé délicatement sur la berge et immédiatement remis à l’eau

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Il arrive parfois que certains me demandent à quoi j’ai consacré mon week-end et lorsque je leur répond  » je suis allé à la pêche  » je crois déceler quelquefois un petit sourire narquois, lourd de sous-entendus. S’ils seulement ils savaient combien je me suis enrichi  .…

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8 commentaires.

  1. Ah oui! je suis plus que motivé pour lui rendre beaucoup plus de visite la saison prochaine, pas de bol cette saison, 2 visites, 2 fois quasi en crue, mais déjà sur place donc we balade.
    la 3eme photo avant la fin ta t elle rapportée quelque chose ? 🙂

    @+jl

  2. Un très beau récit sur cette rivière sur laquelle je n’ai pu venir aussi souvent que souhaité cette saison, mais je suis extrêmement motivé pour lui rendre des visites beaucoup plus régulières la saison prochaine et des récits comme celui ci nous permettront de passer les mois d’hiver plus facilement 🙂

    encore merci

    @+jl

  3. J’ai eu le bonheur de découvrir le Gave d’Oloron et en lisant ce récit j’ai eu le sentiment de revivre un très grand moment de ma passion pour la palm.

  4. Comme je te comprend pierrot =)
    Depuis gamin je viens en Béarn en vacances dans la famille, et cette année pour la première fois j’ai pêché à la mouche sur cette magnifique rivière. Bilan: 1 magnifique fario manquée, avec toute l’approche que tu décris si bien, et un premier lancer catastrophique, et 2 casses sur des truites de mer à la tombée de la nuit. Je ne suis moi non plus pas prêt d’oublier ces instants…
    Les arcs sous le pont de Navarrenx furent une belle consolation =)
    Embrasse la pour moi 😉

  5. Merci Yannick.
    Le but de ces articles est effectivement de tenter de partager et de transmettre ses émotions.
    Quand ça marche, ça fait plaisir.

Commentaires clos.